Sigmaringen est aujourd’hui un chef-lieu de canton situé au sud de l’Allemagne, situé au pied du Jura souabe et au bord du Danube dans le Land de Bade-Wurtemberg. La ville a 18000 habitants. Ce qui fait de cette ville un lieu particulier de mémoire, c’est avant tout un épisode quelque peu oublié de la Seconde guerre mondiale. L’intérêt de Sigmaringen réside en effet dans le fait que la ville est un concentré des principaux événements de l’histoire franco-allemande :
De Napoléon Ier …
À la fin du 18ème siècle, lors de l’instauration par Napoléon d’un nouvel ordre européen, Amélie Zéphyrine de Hohenzollern-Sigmaringen, née Salm-Kyrbourg (1760-1841) était liée d’amitié avec Joséphine, la femme de Napoléon Ier. Grâce à son influence à la cour impériale, elle avait obtenu de lui de conserver sa souveraineté sur la petite Principauté de Hohenzollern coincée entre les vastes territoires du Bade et du Wurtemberg.
… au Second Empire
Plus tard, l’arrière-petit-fils d’Amélie Zéphyrine, Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen (1835-1905), après le passage de la Principauté aux mains de la Prusse, en 1849, a joué un rôle décisif dans l’affaire de la vacance du trône d’Espagne. En acceptant d’être candidat à la succession du monarque espagnol, même si cette candidature ne fut finalement pas entérinée, Léopold, à son insu, allait inciter Napoléon III, qui craignait l’encerclement de la France, à déclencher la première des trois guerres franco-allemandes, un conflit qui allait s’étendre sur sept décennies.
Et la Seconde Guerre mondiale et Vichy
Ce qui confère une signification singulière à ce lieu et qui en fait un symbole de la relation franco-allemande, c’est le transfert à Sigmaringen du gouvernement français de Vichy et de nombreux membres actifs de la Collaboration, de septembre 1944 à avril 1945. C’est le Ministre des Affaires étrangères du 'Troisième Reich', Joachim von Ribbentrop, qui avait ordonné ce transfert après la libération de Paris le 25 avril 1944. Philippe Pétain, le Chef du gouvernement collaborationniste, et ses Ministres sont alors hébergés dans le château de la famille Hohenzollern réquisitionné pour l’occasion. Pétain refuse d’y exercer ses fonctions et de participer aux activités de la Commission présidée par Fernand de Brinon. La présence du Maréchal attira de nombreux civils français impliqués dans la Collaboration et qui craignaient des représailles. La population de la ville s’accrut alors d’un tiers. La veille de l’entrée à Sigmaringen des troupes commandées par le Général Jean de Lattre de Tassigny, le 22 avril 1945, l’ensemble du Gouvernement de Vichy ainsi que les réfugiés français avaient quitté la ville. Sigmaringen fit alors partie de la zone d’occupation française.
Une histoire commune – et des perceptions différentes
Pour les deux pays, ces huit mois constituent un « chapitre difficile » de l’histoire commune. Peut-être est-ce la raison pour laquelle ces faits sont peu connus en Allemagne et en France en dehors du cercle des historiens.
Pourtant le séjour à Sigmaringen des Collaborateurs français et de leurs 'partenaires' allemands est d’une grande importance pour la compréhension de l’Histoire franco-allemande au XXe siècle : Ne doit-on pas considérer Sigmaringen – comme Verdun et Reims, mais aussi Aix-la-Chapelle et Versailles – comme un lieu de mémoire des rapports franco-allemands ? C’est en effet ici à Sigmaringen et lors de cette période troublée que se cristallisent les antécédents et les tensions des relations franco-allemandes qui ont trouvé leur résolution lors du Traité de l’Elysée en 1963.
Les relations franco-allemandes au sein de l’Europe
C’est sur cette base qu’il nous a semblé nécessaire de mener une réflexion historique et scientifique visant à faire de Sigmaringen un « lieu de mémoire » dans le sens défini par Pierre Nora et Etienne François. Soixante-quinze ans après « l’exacerbation » des tensions, Sigmaringen peut en effet devenir un lieu de débat ouvert où l’on examine les faits historiques selon des angles divers et les points de vue respectifs dans l’esprit de la relation apaisée commune et en conformité avec l’idéal européen partagé.
D’ores et déjà, suite à cette réflexion, s’est tenu un Séminaire réunissant des étudiants de l’Institut für Kulturmanagement de l’École supérieure de pédagogie à Ludwigsburg sous la direction du Professeur Clemens Klünemann ; il s’agit de présenter aux personnes visitant la ville de Sigmaringen l’épisode de la période 1944/1945 comme une « clé » de la compréhension des relations franco-allemandes au XXe siècle et de développer à cette occasion un concept de visualisation des faits historiques approprié à la situation : les liens de dépendance qui ont été noués au début du XIXe siècle à Sigmaringen entre la France et l’Allemagne et qui ont débouché sur le choix de la ville pour y installer le gouvernement de Vichy seront mis en évidence par un parcours mémoriel mis en place grâce au soutien de la Ville de Sigmaringen et de la Maison princière de Hohenzollern.
On envisage à présent la tenue d’un colloque qui sera l’occasion pour des historiens allemands et français de s’entretenir et de s’échanger sur les différences d’approche entre les deux pays en ce qui concerne la perception de cet événement ainsi que de cette période de l’Histoire franco-allemande. Sans la connaissance de ce qui précédait le traité de l’Élysée en 1963 – c’est-à-dire sans la connaissance de ce que Raymond Aron désigne comme « la tentation fasciste » qui s’exerçait durant l’entre-deux-guerres et en Allemagne et en France – 'Sigmaringen' ainsi que tout ce que l’on associe à l’épisode de l’hiver 1944/1945 est menacé de devenir un « non-lieu » susceptible de laisser la place à toute sorte d’interprétations.
Ce projet qui vise à mener une réflexion sur les pages sombres qui ont précédé l’essor de l’amitié franco-allemande se réalisera sous la responsabilité de l’Historien Otto Becker –archiviste familiarisé avec ce thème depuis des années – ainsi que de Clemens Klünemann, romaniste et spécialiste des questions culturelles, et de Gabriele Loges, germaniste, écrivaine et journaliste.